PÉRIGNAC : LÉGENDE D'ARKARA

Il existe un manuscrit que très peu de Paysans connaissent bien qu’il soit disponible pour tous. Les Grands-Prêtres lui donnent le nom de « Légende Dairel » puisque c’est ainsi que Primus Tasal le désigne sans pour autant révéler l’origine de celui-ci qui provient évidemment de la Terre, sauf que le singe dit ne pas se souvenir de l’époque. Il offrit ce manuscrit à Phardate qui fut aussitôt surprit de retrouver dans cette légende presque tous les événements qui marquèrent l’histoire d’Arkara jusqu’à la fin des temps. C’est dans ce livre qu’on y trouve un passage concernant la naissance du missionnaire appelé Egapalentour. La légende Dairel prédit que le Cœur fantastique va être divisé en deux puisque le peuple le sera également. Elle parle également d’une cité qui va fondre comme de la cire, et finalement de l’explosion de la planète en millions de morceaux. Cette légende indique qu’un immense anneau lumineux se formera et que cette belle planète disparaîtra dans une autre dimension. Les Grands-Prêtres y voit une allusion au tunnel de la mort. Toutefois, ce manuscrit ne parle pas d’une autre planète qui remplacera celle qui sera détruite. Selon Primus Tasal, il se peut que cette légende Dairel soit une première version ou même la première partie d’une histoire en plusieurs tomes. Quoi qu’il en soit, les Grands-Prêtres consultent régulièrement ce livre pour connaître les événements futurs. Adamas et Gracia ont lu ce manuscrit comme bien d’autres puisqu’ils sont très instruits. Gracia sait même beaucoup plus de choses que son époux depuis qu’elle est devenue la première Paysanne à porter secrètement le titre de « prêtresse de la tour royale.» Elle est également enseignante. Sa bonté incarnée lui attire l’affection des enfants du canton qui assistent volontiers à ses leçons d’histoire et de sciences adaptées à leur niveau de compréhension. La plus douée pour comprendre ses leçons est Osis, la fille du gardien de la Tour royale. Il faut avouer que le fait d’être l’enfant de Colombin devrait normalement inciter également le petit frère d’Osis à s’intéresser aux leçons de Gracia mais Urus ou Barbouille pour ses amis, n’aime que fréquenter les marais où il dresse les dragons. Ceux-ci amusent beaucoup les enfants avec les quelques trucs patiemment enseignés par le jeune dompteur. Personne ne sait si l’étoile picotée de Barbouille l’influence aussi pour qu’il aime autant se salir. Ses cheveux ressemblent à des mèches de glaise. Pour le reste, l’expression « crotté de la tête aux pieds »lui va à merveille! Le comble de la patience serait d’essayer de vouloir donner un bain à Barbouille. Étrangement, l’éternel sourire charmeur de ce bambin lui attire l’amitié de tous les autres enfants du canton. On reproche parfois à Mercéür d’avoir enseigné à Barbouille comment s’y prendre pour apprivoiser les dragons. Très tôt dans sa vie, l’enfant s’est rapidement attaché à ces bêtes fantastiques avec lesquelles il passe maintenant la majorité de ses journées. Il est même parvenu à montrer à Boule-Boule comment se tenir en équilibre sur une seule patte. Mais le dragon triche un peu en s’élevant légèrement du sol pour laisser croire ensuite qu’il arrive à appuyer tout son poids sur le bout d’une patte.

Un jour, les jumeaux s’aventurent dans un champ de blé et sourient en examinant des renards s’amuser à gambader sur une petite colline située au milieu du champ doré. Kana s’élance dans l’intention d’aller rejoindre les autres enfants lorsqu’il remarque dans le ciel, qu’une jolie étoile en forme de rose se rapproche lentement de la sienne. Dès qu’il réalise que c’est Osis qui vient dans sa direction, il s’empresse de s’agenouiller et cueille fébrilement des fleurs qui poussent entre des gerbes de blé. Il veut tellement offrir ce bouquet improvisé à sa belle demoiselle, qu’il y mêle maladroitement des racines. Lorsque la fillette arrive à ses côtés, il se relève timidement pour lui offrir ces fleurs sans prononcer un seul mot. Osis examine le bouquet et place ses mains devant sa bouche pour étouffer un petit rire amusé. Elle accepte le joli présent et promet de le placer dans un pot dès qu’elle sera de retour à la maison. Elle invite Kana à l’accompagner chez le seigneur Alba puisque son père Colombin désire convaincre Byblos de sculpter des plaques qui seront placées devant le cercle interdit. Le fait est que malheureusement, depuis que Kana se retrouve souvent au sommet de la Tour en or, d’autres enfants s’aventurent maintenant trop près de la zone dangereuse au risque de subir de graves brûlures. Évidemment, Kana refuse à son grand regret car il ne tient pas à se faire sermonner par Colombin et encore moins, de rencontrer le seigneur Alba qui passe son temps à le ridiculiser avec son frère. Après le départ d’Osis, les jumeaux courent un moment avec les renards dont l’un d’eux se nomme Ti-Gris. Son pelage grisâtre trahit son âge avancé, ce qui ne l’empêche pas d’aimer taquiner Kana à l’occasion. Pourtant, il ne s’est permis de sauter qu’une seule fois sur un bouquet de fleurs sauvages que son ami venait de tendre à Osis. Même si l’animal voulait simplement jouer, il comprit ce jour-là, que Kana éprouva une telle peine de se faire ravir ses fleurs, que le renard cessa de venir le déranger lorsqu’il se trouvait en compagnie de la plus jolie Paysanne du canton. Évidemment, Kana refuse d’admettre qu’il est en amour avec la fille de Colombin, sauf que son regard ne saurait tromper les joyeux renards qui font semblant de le croire. Les goupils excités viennent d’envahir la petite colline et Ti-Roux disparaît dans le sol lorsque le sommet de la butte cède sous ses pattes. Ses confrères cessent de jouer et viennent se rassembler autour du trou et entendent la voix de Ti-Roux qui les rassurent aussitôt. L’animal n’est pas blessé mais est drôlement excité par cette étrange caverne qu’il vient de découvrir mais comme il faut quand même le sortir de là, Kana demande à son frère d’aller chercher une liane à la maison. En cours de route, Anak est abordé par un jeune géant qui aimerait lui montrer sa collection de pierres précieuses. Le jumeau lui fait comprendre qu’il ne peut s’attarder et lui explique brièvement la situation. Son ami Gad lui propose alors de tenir la corde pendant qu’il descendra dans le trou. L’idée est excellente puisque ce Connient est doué d’une force remarquable. Anak, Kana et Ti-Gris sont rapidement descendus dans cette fosse étrange et sont troublés par leur découverte car ils se retrouvent dans un immense crâne qui date de l’époque des géants primordiaux. Cette tête coupée est celle d’un guerrier ou peut-être même d’un sacrifié. On peut prétendre sans se tromper qu’une épaisse couche de glaise l’avait déjà recouverte avant l’incroyable incendie qui extermina la race des géants. Les explorateurs peuvent parfaitement distinguer l’orifice des yeux, du nez et surtout de l’immense mâchoire obstruée par de la glaise durcie. Anak refuse de croire Ti-Gris lorsqu’il prétend qu’il s’agit d’un crâne humain. Dans sa logique, les humains sont immortels et par conséquent cette tête est probablement celle d’un gros singe. Les deux renards ne veulent pas le contredire car ils voient très bien que l’enfant n’est pas convaincu par ce qu’il affirme, et donc le mieux est de le laisser réfléchir à tout cela. Ce n’est pas facile pour le jumeau de Kana de réaliser que les humains meurent comme les animaux. Ti-Roux dresse les oreilles contre la paroi et dit à ses amis qu’il entend quelque chose de l’autre côté qui ressemble à une mélodie qui semble même s’amplifier. C’est suffisant pour que les autres supplient Gad de leur tendre la corde au plus vite pour qu’ils puissent sortir du trou. Kana regrette déjà de ne pas savoir ce qu’il y avait derrière la mâchoire du géant primordial. Il se propose donc de revenir avec des pics et des pelles pour le découvrir. Son jumeau le prévient de ne pas compter sur lui pour pratiquer un trou dans la paroi et s’éloigne craintivement en répétant aux renards que cette tête est celle d’un singe mais la seule réponse qu’il reçoit est que leurs oreilles s’agitent comme lorsqu’ils chassent des mouches. C’est toujours ainsi qu’ils réagissent lorsqu’ils font semblant d’avoir entendu un message. Kana demande à Gad de l’aider à recouvrir le sommet du trou avec des branches puisqu’il se met à pleuvoir si on peut le dire ainsi car il faut s’entendre ! Cette pluie, ou plutôt, cette bruine tombe dès que les champs, les prés, les vignobles et les vergers disent au Cœur royal qu’ils ont soifs. En traversant les rayons de lumière, cette eau crée alors de magnifiques arcs-en-ciel. Après le départ des explorateurs, la mâchoire énorme est traversée par Primus Tasal qui vient de découvrir le dernier passage secret entre la Terre et Arkara. Il fait rouler sa bille magique à l’intérieur du crâne et trouve l’endroit parfait pour donner un peu de fraîcheur à sa pauvre planète où le continent africain souffre de sécheresse. Mais là, il découvre des traces de pieds légèrement imprégnés dans le sol. Primus craint de voir des membres de la secte d’Alba profiter de ce passage pour se rendre sur Terre. Il s’en retourne un bref instant et revient en tenant un boulet noir muni d’une mèche déjà allumée qu’il jette rapidement dans un coin du crâne avant de fuir par la brèche qu’il vient juste de pratiquer. Une détonation étouffée se fait entendre comme si des centaines de bulles de gommes qui éclataient en même temps. Lorsque Kana revient le lendemain en compagnie de ses amis, il réalise que la colline s’est entièrement affaissée. Son pic et sa pelle deviennent donc inutiles.

Le vaisseau de Dorgon passe lentement au-dessus du canton. Les jumeaux se proposent d’aller s’occuper de son jardin. Ils sont à peine sortis du village que le renard gris vient les retrouver. Kana se doute évidemment que Ti-Gris veut les accompagner bien qu’il prétende s’en aller justement dans la même direction. Lorsque l’un des adolescents le prévient qu’ils vont devoir monter deux milles marches avant d’atteindre la demeure du Maître protecteur de la planète, le goupil répond qu’il pouvait monter au moins trois fois ce nombre dans son jeune temps. Il réalise que son mensonge fait sourciller ses amis. Alors, il fait une autre tentative en disant que c’était peut-être deux fois après tout! Il marche un moment avant de redevenir plus humble en prétendant qu’il n’a jamais eu la chance de monter jusqu’à la demeure de Dorgon. Les trois visiteurs trouvent le mutant à tête d’aigle encore agenouillé devant son navire. Il demande à ceux-ci de se retourner le temps de ranger le tube de mégator dans un caisson argenté. Puis le Maître place la boîte sous son bras avant de leur dire qu’il désire leur montrer quelque chose. Vraiment intrigués, les jumeaux entrent dans la hutte sauf leur ami à quatre pattes qui n’ose en faire autant. Il attend sagement devant l’entrée jusqu’au moment où Dorgon lui fait signe de venir s’asseoir près de ses amis. Le renard fait rire les jumeaux en rampant craintivement jusqu’à eux. Anak examine un gros coffre sur roues en or massif recouvert de symboles énigmatiques. Le mutant s’agenouille devant celui-ci, soulève l’épais couvercle et retire ensuite un petit objet rangé dans le coin du coffre. Il fait entendre un rire de satisfaction qui suffit toutefois à faire dresser les poils du pauvre renard gris. Les jumeaux examinent un petit berceau dans la main de Dorgon. Le mutant rit de les voir si peu informés sur l’utilité d’un tel objet qu’il s’amuse à faire bercer en disant qu’un berceau sert à y placer un nouveau-né. Anak et Kana avouent leur ignorance en ce qui concerne ce genre de charrette miniature munie de deux roues incomplètes. Ils ignorent le sens des mots que prononce le Maître. Il parle d’un berceau, d’un nouveau-né, du sommeil? Franchement, on dirait qu’il aime plonger ses jeunes amis dans le mystère. Pour comble des surprises, ils apprennent que le berceau et le coffre proviennent du futur. Dorgon désire à présent discuter seul avec Kana et invite son jumeau et Ti-Gris à se retirer. Ils vont alors s’asseoir à l’extérieur et bien sûr, ne peuvent entendre la conversation même s’ils observent discrètement ce qui se passe. Ému, Kana reçoit le berceau. Dorgon lui dit qu’il comprendra un jour ou l’autre les mots qui lui semblent si étranges pour le moment. Le jeune adolescent désire lui offrir sa couronne de fleur et tente de l’introduire autour du poignet du mutant sans y parvenir. Alors, il soulève naïvement la terrible patte pendant que Dorgon le fixe dans les yeux en lui disant qu’il ne risque rien. Le renard édenté va se cacher derrière Anak lorsqu’il réalise que la patte est dressée devant son ami. Il n’arrive rien du tout. Le jeune adolescent introduit la jolie couronne dans celle-ci et le Maître lui dit qu’il vient d’obtenir la preuve qu’il attendait avant d’accepter de le prendre comme élève. Tout autre que Kana se serait fait pulvériser par l’énergie terrible dégagée par les serres aiguisées.

Le Maître discute longuement avec Kana et lorsqu’ils sortent finalement de la hutte, Dorgon propose à ses amis de les reconduire puisqu’il est déjà tard. Ils aident l’aigle royal à rafraîchir les jolies fleurs de son jardin avant de prendre place à bord du vaisseau. Les jumeaux et le renard sont drôlement excités à l’idée de voyager dans un navire spatial. Ils s’installent sagement dans un endroit où ils pourront regarder le paysage à leur guise. Le navire passe bientôt au-dessus de l’enclos de Baa-Bouk. Ti-Gris a peur malgré lui en voyant d’aussi près ce monstre légendaire. Il aimerait bien connaître son histoire puisque personne ne raconte ces choses-là aux renards. Il se demande même si cela est juste de se servir des animaux pour raconter des histoires aux enfants alors que jamais personne daigne leur en raconter en retour. Kana lui promet de demander l’histoire du monstre noir à un conteur. Évidemment, le jeune adolescent la connaît déjà depuis son expérience au sommet du cratère, mais Kana commence déjà à se sentir mal à l’aise de faire semblant d’ignorer ce qu’il sait fort bien. Il sait par instinct qu’il n’a pas le droit de révéler ce qu’il a vu dans la vallée musicale, ni ce que Dorgon vient de lui dire dans la hutte. Il doit donc apprendre à vivre avec ses secrets et surtout, ne jamais profiter de ses connaissances pour abuser de son prochain. Anak sourit en examinant des centaines de cabanes d’enfants dressées un peu partout dans le canton. Il en découvre même une au milieu d’un sentier. Le vaisseau se pose avec grâce et en silence dans un champ de blé et remonte dès que les passagers se sont éloignés. Trois enfants accompagnés de plusieurs renards courent dans leur direction. Kana, Anak et Ti-Gris regardent le ciel pour savoir quels sont les coureurs qui sont largement distancés par Achiliam, le jeune Paysan le plus rapide du canton. Son étoile en forme de pied lui confère sans doute une prédisposition pour la course. Loin derrière, l’étoile en forme de rose et une autre picotée indiquent que Osis et son jeune frère Barbouille viennent à leur rencontre. Kana est heureux de pouvoir montrer le berceau à ses amis qui l’examinent d’un air intrigué. Lorsque Barbouille demande l’utilité de l’objet, un renard en profite pour le taquiner en disant qu’il sert à donner un bain au petit Urus. Le garçon recule ce qui fait bien rire les autres. Kana offre son berceau à Osis sans pouvoir lui expliquer son utilité. Anak vient à son aide en disant à la fillette qu’elle pourra le remplir de terre et y semer des jolies fleurs. Osis trouve l’idée excellente puisqu’elle pourra se promener avec un jardin portatif.

La fillette ne perd pas de temps en remplissant le berceau de terre. Elle aimerait y faire pousser des roses même si les rosiéristes du canton refusent de lui offrir des graines en disant que cet objet est beaucoup trop petit pour y faire pousser une fleur aussi capricieuse de nature. Osis ne désespère pas et décide de se rendre au village des Croucounains où s’y trouvent les plus beaux rosiers du pays. Elle est tellement pressée que la petite étourdie oublie de demander la permission avant de s’engager sur le pont d’arc-en-ciel et est figée sur place comme une statue de sel. Le petit gardien de dix centimètres de hauteur sort bientôt de sa maison en forme d’œuf et voit la prisonnière. Il secoue tristement la tête en se demandant pourquoi Osis ne s’est pas présentée à lui avant de s’engager sur ce pont magique. Il retourne à l’intérieur de sa grosse coquille pour y prendre un flacon d’antidote qu’il va ensuite verser sur les talons de la statue et Osis reprend aussitôt sa liberté. Elle s’empresse de s’excuser et demande ce qu’elle doit faire pour être pardonnée? Croubin, car c’est ce Croucounain, est plutôt à cheval sur les principes et demande à la visiteuse de faire simplement ce qu’elle n’a pas fait en arrivant devant le pont. Une force l’oblige alors à retourner à son point de départ en marchant de reculons. Le petit gardien retourne dans sa maison située près du pont et Osis vient frapper délicatement sur cette demeure sans porte. Croubin sort joyeusement de son poste de surveillance et demande à la fillette la raison de sa visite. Celle-ci lui explique qu’elle désire des roses pour son berceau. Le Croucounain se croise les bras en disant qu’il doute que Phardate accepte de lui offrir des roses. Osis lui fait regarder son étoile en disant qu’il est normal de vouloir des roses lorsqu’on possède une étoile qui l’incite à rechercher ces jolies fleurs. Croubin lui répond que les roses sont offertes aux enfants une fois l’an et qu’elle ne doit pas s’attrister si Phardate refuse de faire une exception à la règle. Il veut toutefois l’autoriser à se rendre au village si elle pense qu’elle possède une chance d’obtenir ce qu’elle désire. Il faut qu’elle chausse cependant les sabots d’or. Le Croucounain place deux petits souliers dorés près de la visiteuse et lui demande d’y introduire le petit orteil. Osis s’exécute et sourit en voyant les sabots s’ajuster miraculeusement à ses pieds. Elle peut maintenant se rendre au village. Personne ne comprend pourquoi les visiteurs dansent toujours en traversant le pont magique. Ils le font malgré eux sauf que tout s’arrête lorsqu’ils arrivent au village des Croucounains. Les villageois fixent alors les pieds des étrangers pour s’assurer qu’ils portent un laissez-passer. Sur le mince rebord d’une jolie fontaine marche en équilibre un Croucounain aux oreilles de chat. Son nom est Pritesjeude et son jeu favori est de déformer les mots et les phrases. Osis lui montre son berceau et le joyeux équilibriste lui demande évidemment à quoi sert un « berce eau »? La fillette connaît la langue de chat et rit lorsque Pritesjeude lui dit préférer « un berce lait puisqu’il a un panse étang pour le lait bon. » La visiteuse sourit en voyant Phardate s’approcher en tenant un bouquet de roses. Il se peut qu’il ait deviné ses pensées après tout? Toutefois, le chef des Croucounains passe devant elle en lui souriant d’un air complaisant. Les fleurs sont pour un jeune couple qui vient d’obtenir un fils qui s’appelle Ourmabel. Après avoir fait ses recommandations aux parents, Phardate revient auprès d’Osis. Il dit qu’il connaît la raison de sa visite et qu’il ne peut malheureusement lui offrir des roses. Par contre, il possède des fleurs pompons de toute beauté. Il les offre à la fillette en disant qu’elle va pouvoir s’asseoir sur ces boutons vraiment résistants. Osis s’en retourne joyeusement avec ces jolis pompons originaux.

Dorgon reçoit la visite de Primus Tasal. Il faut admettre que Mercéür vient de faire une sacrée bêtise en rendant Alba immortel. Le seigneur fruitier a même caché dans sa cave secrète une provision de bouteilles qui contiennent dans chacune une goutte de sang. Alba n’a plus besoin de boire de ce vin magique pour vivre éternellement. C’est plutôt pour se maintenir jeune qu’il prend autant de soin à dissimuler cet élixir de jouvence. Primus n’accuse pas le fils adoptif d’Alba d’avoir commis un crime puisque ce pauvre orphelin a perdu la mémoire et ignore qu’il est un Olympus. Par contre, il n’est pas question de permettre à Alba de profiter de son immortalité pour conserver une éternelle jeunesse. Il vieillira comme les autres et comme la mort se tiendra loin de lui, son corps se décrépitera, sénile et rongé par toutes les maladies qui surviennent normalement lorsqu’un humain ne peut plus se fier à ses vieux os pour le maintenir encore debout. Alors, Alba aura droit à une vieillesse perpétuelle exactement comme un malade chronique incapable d’en finir avec la phase terminale de la vie. Il sera riche, puissant et craint sans pour autant profiter des plaisirs que procure la jeunesse. Ceux qui envieront sa longévité, seront-ils conscients que le grand rêve d’Alba s’est transformé finalement en un véritable cauchemar? Dorgon tient personnellement à régler cette histoire de jeunesse éternelle qui risque d’arriver si Alba continue d’obtenir du sang de Mercéür. Il décide de lui retirer son fils adoptif même s’il brime les droits légitimes du seigneur fruitier. Le mutant lui offre deux possibilités : soit de lui confier Mercéür ou d’accepter sa présence. Dorgon lui dit qu’il n’est pas pressé et qu’il passera ses journées soit dans les vergers ou soit dans les vignobles en attendant sa réponse. Alba a peur de l’aigle royal. Il est convaincu que son regard perçant scrute les moindres parcelles de son âme. La présence d’un aussi imposant personnage dans les alentours l’inquiète énormément. Comment va-t-il rassembler ses fidèles secrètement s’ils craignent de se faire repérer par Dorgon? Le père adoptif demande à un ouvrier d’aller chercher Mercéür. Le problème, c’est que celui-ci refuse de quitter son foyer qu’il soit bon ou mauvais! Il ne veut pas vivre ailleurs et avoir à travailler pour un autre patron comme lui propose Dorgon. Celui-ci comprend parfaitement le sentiment qui anime le jeune vigneron qui ne se considère plus comme un orphelin depuis qu’il vit avec Alba et Byblos. A-t-il tort ou raison de justifier son refus en accusant la communauté de l’avoir repoussé gentiment depuis toujours? Peu importe les bonnes intentions d’une collectivité si celle-ci n’apporte ni affection et ni attention, si minime soit-elle d’un père ou d’une mère. Le mutant n’insiste pas. Il fera surveiller Alba de très près en espérant qu’il laissera son donneur tranquille. De toutes manières, peu importe s’il se crée une réserve d’élixir, il ne l’emportera pas avec lui sur Terre. Cela est une promesse que Dorgon peut tenir envers Primus Tasal.

Les jumeaux sont assis dans un pré et discutent de la prochaine grande fête de l’Abondance qui devrait avoir lieu bientôt selon eux. On dirait que c’est dans l’air tel un parfum de bonheur. Anak et Kana se comportent comme tous les autres enfants du canton en tentant de deviner ce qu’ils recevront en cadeaux dans ce village magique. L’année dernière, Kana a reçu des ciseaux pour sculpter le bois mais avoue malgré tout, ne pas posséder le talent de Byblos pour réaliser de belles figurines. Il faut dire que l’esprit critique de son jumeau ne l’aide pas non plus. Anak est vraiment très habile de ses mains et s’imagine sans doute que son frère pourra réaliser lui aussi, une œuvre artistique dès la première fois. De son côté, Kana se demande souvent pourquoi son double exerce ses talents de menuisiers uniquement dans la fabrication de coffrets et surtout de charrettes miniatures. Il en possède une centaine dans la cour familiale, mis à part celles qu’il a fabriquées pour les petits animaux du pays. Ceux-ci les utilisent pour transporter leurs œufs, leurs carottes et même leurs rejetons. Les charrettes « anakiennes », comme dirait un historien, sont non seulement jolies, mais adaptées aux besoins de leurs utilisateurs. En examinant le ciel, Anak fait remarquer à son jumeau qu’Osis et Barbouille se trouvent en compagnie des dragons du marais. Kana va les retrouver dès qu’il voit le jeune géant Gad s’approcher avec une grosse poche en jute décousue par endroits. Le meilleur ami d’Anak vient montrer sa collection précieuse à présent que le jumeau est disposé à l’examiner. Gad s’agenouille près de lui pour être à sa hauteur et sort toutes sortes d’articles inutiles de sa poche à trésors. Anak fait semblant d’être impressionné par les différentes grosseurs de boules à gommes du collectionneur, des coquilles d’œufs, des coquillages et surtout des pierres communes. Gad lui demande s’il aime la dernière pierre cactus que son père vient de lui ramener de la carrière. Anak lui répond qu’elle est vraiment superbe et c’est suffisant pour que son ami lui offre aussitôt celle-ci en s’imaginant que son caillou fera bonne figure parmi les pierres précieuses que le jumeau possède en grand nombre. Puis, le jeune Connient retire son chapeau de glaise et présente son ami le caneton à son ami. Anak regarde l’oiseau marcher sur le bras du géant et constate rapidement qu’il n’a pas d’ailes. Il demande à Gad s’il a songé à confier son caneton aux Grands-Prêtres pour qu’ils lui trouvent un meilleur endroit pour se loger? Car sous un chapeau de glaise, ce n’est pas tout à fait ce qu’il faut pour un volatile, même s’il ne vole pas. Gad lui répond que le caneton est libre dans son chapeau et lui tape sur la tête lorsqu’il veut sortir. Le Connient demande alors si son oiseau possèdera des ailes lorsqu’il sera adulte? Il ne s’attend pas à une réponse et remet l’oiseau sous son chapeau. Kana vient d’arriver trop tard près des marais pour tenir compagnie à celle qu’il voit s’élever lentement dans les airs en riant comme son jeune frère. Bien sûr, ils sont agrippés aux pattes de Boule-Boule pendant qu’il plane lentement autour des marais. Le jeune adolescent marche en regardant en l’air et ne réalise pas qu’il se dirige dans une zone où furent engloutis les dinosaures dans le sable mouvant. Kana commence à s’enfoncer dangereusement jusqu’au moment où la Belle-Chimo le découvre à temps et le sort de la vase. Elle lui dit qu’il n’a pas été sage de s’aventurer dans cet endroit sans regarder où il met les pieds. Elle ajoute qu’elle ne sera pas toujours là pour le protéger. Kana réalise que la dragonne possède une mission qui n’est pas la sienne. Le monstre volant n’est pas là par hasard. Derrière les marais se trouvent des volcans par lesquels s’échappe une épaisse fumée blanche. C’est grâce à cette brume permanente que très peu d’Arkariens connaissent l’existence d’un ravin situé entre deux montagnes. C’est là que les Connients ont traversé dans la vallée noire avant de s’y faire massacrer par Baa-Bouk. Belle-Chimo visite régulièrement cette région et surtout l’ancienne caverne du monstre à la recherche d’intrus qui voudraient utiliser le seul passage disponible entre Arkara et la Terre.

C’est l’euphorie totale dans tous les coins du canton. Les fleurs de cristal viennent d’éclore dans les jardins familiaux. Une pluie de manne aussi grosse que des grêlons est larguée des quatre vaisseaux spiraux et se répand sur tous les champs du pays. Les paysans s’empressent de recueillir cette nourriture et remplissent leurs baluchons. Les boules de riz magiques contiennent tout ce qu’il faut en énergie pour soutenir les marcheurs puisqu’il faudra compter trois jours pour se rendre au village de l’Abondance et la même chose pour en revenir. La manne providentielle est déjà l’une des douceurs que le peuple aime goûter exactement comme une friandise serait disponible une seule fois par année. Elle possède une saveur tellement suave que les enfants vont passer plus de temps à manger qu’à parler au cours du voyage! Mais avant le départ, les enfants cueillent avec grâce toutes les fleurs de cristal et les placent dans des paniers décorés avec les jolies roses qu’ils reçoivent des Croucounains. De leurs côtés, les animaux et insectes volants affluent de partout comme si l’atmosphère était devenue trop intense en joies et en émotions. Le Grand Superviseur d’Atlantis s’empresse de donner ses instructions à ceux qui ont cette lourde tâche d’organiser le cortège. Les collaborateurs d’Adamas, des Croucounains et des Grands-Prêtres voient à atteler les animaux à leurs charrettes. Tous veulent offrir un présent au Cœur royal. Les insectes transportent du pollen, les ours choisissent d’apporter du miel et les lapins, pour leur part, sont convaincus que le Souverain appréciera les carottes. Les animaux sont magnifiques et leurs charrettes sont superbement décorées. Un méandre de milliers d’insectes suit de près des scarabées de toutes espèces et de toutes les couleurs, roulant courageusement leurs grosses boules de blé qu’ils offriront au Souverain. Les oiseaux envahissent le ciel et vont même jusqu’à aider les insectes et les animaux trop lents pour rejoindre à temps le cortège. Ils se posent ici et là en tenant des paniers entre leurs pattes. Ainsi, les colimaçons, les chenilles, les petites tortues et les vers peuvent se joindre à la caravane qui aura environ sept kilomètres de long une fois complétée. Les Paysans doivent atteler leurs buffles aux dix charrettes familiales qu’ils possèdent puisqu’elles seront pleines à craquer en revenant du village. Avec cette joie généralisée, il n’est pas facile de décorer les cornes d’un buffle. L’animal manifeste sa bonne humeur en dansant sur place tout en léchant affectueusement le visage de celui qui se trouve trop près de son museau. Parfois, l’animal se détache pour continuer à danser et va même rencontrer un autre congénère lorsqu’il désire lui montrer ce qu’il va offrir au Cœur fantastique. Autant de bonheur collectif se contrôle aussi mal que si un malheur venait de s’abattre sur les Arkariens. Il faut donc accélérer les préparatifs pour placer tous et chacun de façon à éviter qu’un géant écrase accidentellement un plus petit que soi. On ouvre le cortège avec les insectes et le referme avec les Connients et les mutants.

Pourtant, tous ne sont pas affectés par cette euphorie contagieuse et tente de provoquer un événement qui risque de transformer cette fête en véritable massacre collectif. En effet, Myotis a largué une partie de la manne comme le font ses confrères dans d’autres coins du canton, mais profite également des circonstances pour dévier rapidement de sa trajectoire en passant volontairement au-dessus de l’enclos du monstre. Il y laisse tomber son immense voile qu’il a enfin terminé. Un Grand-Prêtre est seul sur le mur et tente alors d’interrompre la manœuvre avant que Baa-Bouk n’arrive à s’introduire la tête dans celui-ci. Il sort son glaçon magique en pensant pouvoir soulever le voile à distance mais le vaisseau spiral pique si vite sur lui que le pauvre religieux est projeté en dehors du mur. Le mutant ne veut pas demeurer dans cet endroit plus longtemps et retourne hypocritement terminer la distribution de la manne en s’imaginant que Baa-Bouk pourra se débrouiller sans lui. Le monstre est excité à l’idée de retrouver bientôt sa liberté grâce à son fidèle dévot. Il a foncé vers le voile jusqu’au moment où un cri strident lui fait comprendre que Belle-Chimo est encore plus vite que lui. En effet, la dragonne lui pique son voile sous les yeux, et remonte aussi rapidement vers le ciel pour éviter les cornes de la bête en furie. Le monstre sait à présent que Myotis ne pourra plus l’aider une autre fois. Le mutant regarde la dragonne traverser la ligne d’horizon en tenant son voile dans sa gueule. C’est suffisant pour comprendre qu’il ne lui reste désormais qu’à fuir cette planète au plus vite. C’est la mort pour lui lorsque Dorgon apprendra qu’il vient de tuer un Grand-Prêtre, et surtout d’avoir tenté de libérer le prisonnier. Myotis vient poser son vaisseau près des trois autres et fait semblant d’aller rejoindre ses confrères. Lorsqu’il est certain que Dorgon est trop occupé pour surveiller son navire spatial, il s’y introduit rapidement et défonce le caisson dans lequel se trouve le tube de mégator qui permet de contrôler les autres vaisseaux. Il ordonne à ceux-ci de demeurer stationnaire jusqu’à nouvel ordre, puis il indique au tube qu’il doit le conduire sur la planète des Mutants. Dorgon réalise trop tard que son navire est entre les mains de Myotis. Bien sûr, il pourrait annuler la fête, sauf qu’il sait très bien que celle-ci sera la dernière avant la fin d’Arkara. Il fait semblant d’ignorer la disparition de son compagnon puisque celui-ci vient de lui échapper de toutes manières.

Le long cortège se met en route et le vaisseau du jeune Maître du destin apparaît au-dessus du canton et guide un moment les Arkariens avant de disparaître derrière une haute montagne. Évidemment, le peuple se dit que c’est tout à fait normal que Manuel arrive au village de l’Abondance le premier puisque c’est lui qui va recevoir toutes les fleurs de cristal destinées au Cœur royal. Les Croucounains encouragent les marcheurs en jouant sur des lyres aux cordes d’or. Des Grands-Prêtres s’improvisent troubadours et récitent des vers en chantant. Des Paysans musiciens accompagnent les Croucounains en utilisant des flûtes de pan, des cors d’ivoire et des tambourins en verre de roche. Ils rythment la cadence en tenant compte des petits, des moyens et des grands pas. Quelques joyeux nains sortent parfois des rangs pour zigzaguer à gauche et à droite du chemin. Certains sont même juchés sur les jolies brebis Latnahc qui marchent évidemment à reculons par timidité. Les enfants, nus comme des pages blanches et couronnés de fleurs serrent contre leur poitrine les précieux trésors familiaux. Osis est la seule enfant à transporter les fleurs de cristal dans son berceau. Installés sur leurs grosses tortues, les conteurs méditent en tenant fermement entre leurs jambes croisées un coffret rempli de pierres historiques. Ils en auront besoin pour raconter des histoires aux enfants lorsqu’ils devront attendre leur tour pour rencontrer le Maître du destin. Des fées invisibles pour le peuple s’amusent à glisser le long des longues barbes des conteurs pour le bonheur des Croucounains qui s’en amusent. La colonne de marcheurs arrive bientôt devant une haute montagne sous laquelle se trouve un immense tunnel. Le peuple n’aime pas emprunter celui-ci. Sans doute est-ce à cause du peu de lumière qui s’y trouve? Lorsque le cortège s’y introduit, la seule chose à regarder est un petit point lumineux qui va en grossissant au fur et à mesure qu’on se rapproche de la sortie. Mais bientôt la lumière au bout du corridor augmente de brillance sans pour autant aveugler les marcheurs. Ils savent que leur long voyage est terminé dès qu’ils sortent du couloir mystérieux qui débouche sur un haut plateau fertile. Étrangement, peu de Paysans ou de Connients se questionnent pour tenter d’expliquer pourquoi le cortège arrive sur un endroit aussi élevé alors que personne n’a éprouvé cette sensation de monter cette montagne. Gerbin, le contremaître de la carrière a remarqué cela depuis longtemps et surtout que ce fameux couloir disparaît dès que la grande fête annuelle est terminée. Il s’est amusé à plusieurs occasions à faire le tour de cette montagne sans pour autant y découvrir le moindre passage. Par conséquent, le village de l’Abondance n’existe pas comme tel sur Arkara, mais plutôt dans une autre dimension inconnue du peuple. La forêt enchantée et la vallée musicale font également partie de ce monde caché. C’est pour cela que personne ne parvient à les situer sur la planète. Quoi qu’il en soit, la vue qu’offre ce haut plateau est complètement ahurissante; on a envie de s’arrêter et de rêver! On éprouve même ce désir de méditer tellement ce coin paisible procure une sorte de plaisir que seule une Entité peut goûter pleinement. Le corps se contente d’en recevoir un bien-être physique. Ce tableau panoramique montre à droite, la forêt enchantée entourée d’un halo multicolore, mais ce n’est pas elle qui attire vraiment l’attention bien que ce soit l’unique occasion où le peuple est en mesure de la voir de loin. À gauche de la vallée s’étend le village de l’Abondance qui est composé de sept petits châteaux pyramidaux. Le premier est en or massif, l’autre en pierres de jade, et les cinq autres changent d’aspect à toutes les secondes. Il est donc inutile de les décrire correctement. Le phénomène le plus étrange est sans nul doute de retrouver dans cette vallée, le Cœur Royal et même le village des Croucounains. Il s’agit simplement d’une projection puisque tous les témoins de cette hallucinante fantaisie savent parfaitement que la Tour royale et le village en forme de rose géante se trouvent à trois jours de marche de là.

C’est le moment à présent d’installer les marcheurs sur ce vaste plateau en attendant l’invitation à suivre un guide jusqu’au village de l’Abondance. Une dizaine de familles sont choisies par hasard par Adamas pour aller remplir leurs dix charrettes dès que le jeune Maître du destin aura reçu leurs fleurs de cristal. Il y aura jusqu’à quarante jours d’attente pour les dernières familles qui se présenteront au village. Évidemment, il faut s’armer de patience même si l’attente en vaut vraiment la peine. Adamas et sa famille font partie du dernier groupe à descendre du plateau. Le Grand Superviseur replace d’abord les couronnes de fleurs de ses fils et s’assurent qu’ils n’oublient pas les fleurs de cristal. Kana chante en marchant près d’un buffle qui désire le taquiner en lui suggérant de demander une oreille musicale lorsqu’il sera en mesure de faire un souhait devant la fontaine magique. Un guide devient le complice de l’animal en lui plaçant de la paille dans les oreilles. Kana réalise qu’il chante faux mais on ne peut posséder tous les talents après tout! La route qui conduit au village serpente le plateau. Elle est très large et surtout pavée de belles pierres brillantes. Pendant que la famille d’Adamas et les autres descendent lentement dans la vallée, des Paysans s’en reviennent du village avec leurs dix charrettes remplies de fromages, de vins rares, d’objets domestiques, d’outils de toutes sortes et surtout de jouets. Il faut franchir une immense porte dorée avant de se retrouver devant une jolie fontaine qui réalise la majorité des souhaits. Évidemment, Kana demande une oreille musicale et entend aussitôt un petit rire au fond du bassin magique. Une voix lui répond qu’elle va lui accorder une oreille intérieure pour qu’il puisse écouter son cœur chanter. Le garçon boit cette eau pure et se demande ensuite s’il va entendre les battements de son cœur. Il n’a pas encore réalisé qu’il vient de recevoir ce don de savoir si son cœur lui chante une joyeuse ou au contraire, une triste mélodie lorsqu’il aura à choisir entre deux choses. Apprendre à écouter son cœur est très important si l’on désire être honnête envers soi-même et les autres. Une fois que cette visite à la fontaine est terminée, il faut se rendre devant le palais en pierres de jade. La famille d’Adamas laisse alors les charrettes devant un long escalier pour suivre un guide qui les conduira jusqu’au Maître du destin. Celui-ci est assis sur un coussin de fleurs et une jolie colombe demeure immobile sur son épaule. Manuel brille par sa simplicité et par son sourire charmeur. Vêtu d’une robe blanche, couronné de fleurs et caressant sur ses genoux un lapin noir et un lapin blanc, le Maître fait signe aux jumeaux de s’approcher. Kana est fasciné par la merveilleuse licorne ailée qu’il voit agenouillée près du jeune adolescent. Manuel tend d’abord les bras et les jumeaux s’empressent de lui offrir les quatre fleurs familiales. La colombe au bec doré saisit la gerbe de cristal et s’envole vers le Cœur royal. Puis, le puissant Maître tend de nouveau les bras en disant qu’il autorise cette famille à prendre tout ce qu’elle désire dans les châteaux magiques. Kana fixe cependant la licorne qui semble même lui sourire timidement. Il la trouve vraiment belle ce qui fait rire Manuel puisqu’il a déjà songé à offrir cette créature fantastique au jeune missionnaire qui aura besoin d’une accompagnatrice dans ses missions sur Arkara. Évidemment, Anima n’accepterait pas de se savoir l’esclave d’un mauvais cavalier car elle n’est pas une monture ordinaire et Kana l’a parfaitement deviné. Son regard candide et attendri est suffisant pour que la jolie licorne se lève sans hésiter lorsque Manuel lui demande d’accepter de suivre son jeune cavalier. Kana s’empresse d’entourer affectueusement ses bras autour du cou de l’unique véritable prodige des Luminatisiens qui n’ont voulu conserver qu’un seul spécimen de leur race lorsqu’ils possédaient un corps de licorne ailée. Anima est pour ainsi dire la seule preuve vivante de ce peuple à présent obligé de se pourchasser dans l’univers depuis la perte de leur planète. Anak regarde son jumeau caresser la crinière de sa magnifique monture et regarde autour de lui en espérant recevoir également une licorne. Cependant, Manuel lui présente une petite pierre vraiment rare puisqu’elle contient la graine magique de la future planète. Même si le garçon trouve ce bijou vraiment beau, il ne peut s’empêcher d’envier le présent de son frère. Il est vrai que s’il avait su à ce moment ce que contenait réellement sa pierre précieuse, il aurait été très fier de porter à son cou la graine d’un nouveau monde. Mais voilà, il doit ignorer le mystère jusqu’au moment où le temps sera venu pour lui de prouver qu’il est digne de devenir un missionnaire à son tour. Après la rencontre avec Manuel, la famille d’Adamas se rend dans les autres châteaux. Le Grand Superviseur déroule un long parchemin et commande toutes sortes d’articles qui vont s’entasser d’eux-mêmes dans les charrettes. Puis, c’est le chemin du retour et Kana demande, non, il supplie ses parents de le laisser monter Anima. Ils se regardent d’un air complice avant de l’autoriser à revenir au village sur le dos de sa magnifique monture fantastique. Anak regarde son frère s’envoler avant de maugréer malgré lui que son jumeau a reçu un présent beaucoup plus important que le sien. Son père lui demande de ne pas juger la générosité du Maître du destin.

Depuis que Myotis a quitté la planète, Dorgon est vraiment inquiet au sujet de son peuple. Il s’enferme dans la haute sphère du Mont Bellapar dans le but de poursuivre son initiation. Il sait parfaitement que son confrère reviendra dans le but de nuire aux Arkariens. Par conséquent, il veut découvrir le secret de ses anciens Maîtres luminatisiens qui leur permit de cristalliser des énergies pour ensuite les enfermer dans un tube de mégator. S’il y parvient, il pourra alors recréer un autre tube contrôleur et du même coup, annuler l’ordre qui retient les trois autres vaisseaux stationnaires dans un champ. Polar et Bylis ne demandent pas mieux que d’aller régler le sort de leur confrère s’ils peuvent faire décoller les fichus navires de l’espace. De son côté, Myotis n’a pas tardé à prendre le contrôle de sa planète natale grâce à son vaisseau indestructible. Le gouvernement de l’époque était alors composé principalement de mutants à têtes d’oiseaux et de petits animaux. Ceux-ci maintenaient la paix depuis qu’ils possédaient des canons lasers juchés un peu partout sur des hautes tours de leurs cités. Les mutants ont grandement évolué depuis que Dorgon et ses confrères sont demeurés sur Arkara. Il y a des grands immeubles partout dont la forme rappelle celle des cavernes. La technologie ne permet pas encore aux Mutantiens de voyager dans l’espace même s’ils possèdent des armes aussi sophistiquées que des lasers. Le problème avec des armes destinées à assurer la paix, c’est qu’elles deviennent également une puissance destructrice lorsqu’elles tombent entre les mains des rebelles. Myotis s’est amusé à foncer sur les tours pour les faire effondrer les unes après les autres. Les mutants carnivores firent le reste en dévorant les dirigeants et en prenant ensuite la population en otage.

Le Grand-Prêtre Lemu va rencontrer les Paysans après la grande fête annuelle et leur demande d’introduire leur main droite dans une poche qui contient des milliers de graines de cristal. Celle qui appartient alors à son propriétaire vient rapidement se coller dans la paume de celui-ci. Puis, quelque peu hésitant, Lemu demande aux villageois rencontrés ce qu’ils pensent des bibelots animés que sculpte le fils d’Alba depuis bientôt quelques semaines. On lui répond qu’ils sont forts jolis et surtout si intelligents que le seigneur fruitier en utilise quelques-uns uns pour cueillir les fruits du verger. Le religieux aimerait surtout savoir s’il est vrai que Byblos et son père désirent louer ces bibelots vivants. Personne n’ose répondre sur le sujet. Il faut savoir que Byblos a découvert dans un champ des centaines de grosses pierres rectangulaires ayant toutes les apparences du cristal. Il va sans dire que le jeune sculpteur songea aussitôt à créer de jolis bibelots. Même s’il ignorait à ce moment-là que ces blocs étaient intelligents, il en soulève deux au hasard pour alors constater qu’ils sont vraiment légers. Il se demande ensuite s’il peut les sculpter facilement et s’éloigne dans le but d’aller chercher ses ciseaux et son marteau. À sa grande surprise, il découvre que les pierres le suivent exactement comme des ombres blanches. Lorsqu’il s’arrête, elles en font autant. S’il tourne à droite ou à gauche, il les voient aussitôt l’imiter. Il prend peur et fuit chez lui. Lorsqu’il s’arrête subitement pour se retourner, ses fidèles servantes en font autant et se retournent à leur tour puisqu’elles aiment imiter leur maître. Byblos recule lentement en leur criant de rester là. Elles obéissent docilement. Il n’en faut pas davantage pour que le garçon découvre les possibilités fantastiques de ces pierres vivantes. Il s’amuse à créer des petits animaux avec un premier bloc. Lorsqu’il voit ceux-ci faire toutes les pitreries qu’il leur ordonne, il songe alors à réaliser quelque chose d’encore plus intéressant. Byblos est le premier Arkarien à concevoir des statues vivantes destinées à la servitude. Son père l’encourage à poursuivre la sculpture de ces êtres animés puisqu’il sait que ces esclaves vont semer la jalousie, l’envie et surtout le goût du pouvoir. N’est-ce pas excitant de donner des ordres et de se faire obéir au doigt et à l’œil ? C’est cela qui inquiète les Grands-Prêtres et les conteurs du pays. Alba vient de trouver l’arme idéale contre l’égalité entre les Paysans en louant des bibelots animés contre leurs charrettes et leurs buffles. Il va jusqu’à leurs promettre de louer celles-ci pour la prochaine fête de l’Abondance. Byblos aimerait bien sculpter d’autres pierres pour satisfaire les demandes, mais les Grands-Maîtres décident de mettre un terme à cette florissante entreprise en faisant disparaître toutes les pierres encore disponibles dans le champ. C’est suffisant pour que les deux cent bibelots déjà créés prennent rapidement de la valeur. Alba exige à présent huit charrettes et huit buffles contre une location à court terme. Les jolis serviteurs en cristal accomplissent fidèlement toutes les tâches normalement effectuées par leurs maîtres respectifs. En peu de temps, les voisins de ces privilégiés en crève de jalousie. Pourquoi certains peuvent-ils se permettre d’utiliser des serviteurs et pas eux ? Même le Grand Superviseur du canton se laisse influencer par Alba lorsque celui-ci lui offre un serviteur en guise de réconciliation pour toutes ces années de brouille inutile entre eux. Le pire, c’est qu’Adamas se laisse séduire par cette langue de vipère et revient à la maison en montrant fièrement son serviteur à son épouse. Gracia lui demande de rapporter celui-ci en lui rappelant humblement qu’il vient de prouver que ceux qui se méfient encore de ces bibelots, peuvent à présent songer à les louer. Encore faudrait-il qu’Alba puisse en fournir à toutes les familles du village ce qu’elle doute énormément. Son époux justifie cette location en prétextant que ses fils ne l’aident plus aussi souvent qu’autrefois. Kana est toujours absent depuis qu’il possède une monture fantastique et Anak est si triste qu’il préfère ne plus rien lui demander. Gracia baisse les yeux lorsqu’elle réalise qu’il est fini ce temps où l’harmonie existait entre les Paysans.

Mercéür se comporte étrangement depuis qu’il a vu la jolie licorne de Kana. Il est très songeur et s’est même approché de celle-ci pendant que son cavalier cherchait à consoler son jumeau qui dit regretter cette époque où il pouvait s’amuser à se faire passer l’un pour l’autre. À présent, il y a celui qui voyage sur une monture fantastique et celui qui est toujours seul. Kana est triste de voir son frère l’envier et ce n’est pas du tout ce qu’il souhaitait. Pendant qu’il discute avec Anak, Mercéür se rapproche si près de la licorne qu’il peut presque la toucher d’une main. Pourtant, il n’ose le faire même si Anima le regarde d’un air complaisant car elle a reconnu ce petit Perlin de la forêt enchantée et cherche à ne pas éveiller sa mémoire en s’éloignant lentement de lui. Le vigneron pleure sans comprendre vraiment ce qui se passe dans sa tête. Il est incapable de se souvenir d’Anima et pourtant son cœur lui dit que cette licorne lui est familière. Le Grand-Prêtre Lemu se promène au bras de son élève, et lui demande de trouver un prétexte pour éloigner Mercéür puisqu’il risque de se faire très mal en retrouvant sa mémoire. Adep vient demander au vigneron quel vin serait approprié pour offrir à un joyeux conteur qui viendra partager son repas du midi. Mercéür est toujours intéressé à parler de vin et se laisse lentement ramener vers Lemu. Celui-ci lui demande s’il n’a pas changé d’avis concernant le travail d’assistant de Colombin. Le jeune homme opine négativement de la tête avant de s’en aller. Lemu éprouve une véritable compassion envers le seul orphelin de la planète. Avec toute la souffrance qui s’abattra sur le peuple prochainement, ce n’est vraiment pas le moment de redonner la mémoire au pauvre Perlin. Il a tourné la page et a provoqué malgré lui la fin du monde.

Kana désire faire plaisir à son jumeau en lui offrant d’aller demander au Maître du destin s’il peut échanger sa pierre précieuse contre une licorne. Anak s’empresse de lui tendre la petite poche dans laquelle se trouve le présent dont il ignore la véritable valeur. Il s’imagine vraiment que Kana pourra obtenir une monture fantastique comme la sienne et salue son jumeau pendant qu’il s’envole vers sa première véritable aventure. Le cavalier ignore comment se rendre dans la forêt enchantée et préfère donc s’informer auprès d’un conteur du pays qu’il voit agenouillé dans un champ. De toute manière , il a promis au renard de demander à un conteur de lui raconter l’histoire de Baa-Bouk. Kana se pose avec Anima et vient s’agenouiller près de celui qui cherche depuis plusieurs heures des moppoussins. Il lui faut la carapace de ces bestioles minuscules. Le conteur explique brièvement à Kana ce qu’il doit faire pour l’aider : le jeune adolescent doit secouer une foule de trèfles noirs sous lesquels se cachent normalement les colonies de moppoussins. Sa patience porte fruit lorsqu’il secoue une fleur à quatre feuilles. Un nuage de pollen s’en échappe ce qui prouve que les insectes viennent de fuir en abandonnant leurs carapaces collées sous les feuilles. Le conteur excité s’empresse de couper le trèfle et le mange sans tarder. Il dit au garçon que l’effet magique n’arrivera que dans trois jours. Kana en profite pour demander à Barbabus, historien et véritable spécialiste de l’histoire du monstre noir, s’il sait comment entrer dans cette forêt invisible où habite Manuel. Le vieillard lui répond simplement que s’il est autorisé à y entrer, il trouvera sûrement le chemin pour s’y rendre. Kana lui demande ensuite l’histoire de Baa-Bouk. C’est bien la première fois de sa vie qu’il reçoit une telle demande de récit, et cherche un prétexte pour s’éviter une corvée aussi longue. Kana insiste et le vieil homme à la barbe blanche tient tout de même à tenir sa promesse envers celui qui vient de lui trouver des moppoussins. Il s’assoie en disant qu’il aime normalement raconter des histoires devant un petit feu. Une voix intérieure demande à Kana de satisfaire son exigence et pour cela, il lui suffit de tendre ses bras devant lui. Une flamme apparaît alors à quelques centimètres du sol ce qui surprend énormément Barbabus. Il faut avouer qu’un feu qui brûle sans bois est plutôt original comme idée! Le conteur demande au garçon si c’est le vieux renard gris qui veut connaître l’histoire du monstre? Kana rougit aussitôt. Barbabus sourit en se grattant la barbe pour lui avouer ensuite qu’il sait cela puisque c’est écrit dans la légende Dairel qu’un vieux renard édenté demanda à un ami Paysan de se faire raconter l’histoire du monstre noir. Kana écoute le récit de Baa-Bouk et sourit en réalisant qu’il est conforme à ce qu’il a vu lorsqu’il se trouvait au sommet du volcan. Il est assez intelligent pour réaliser que cette vision du passé aurait pu provenir simplement de son imagination. Barbabus vient donc confirmer par son récit qu’il n’a pas rêvé et mieux encore, que plusieurs éléments manquent dans l’histoire officielle. Il aurait le goût d’ajouter par exemple que Dorgon a déjà pulvérisé un lièvre, ou encore que Myotis a dévoré quelques Arkariens mais lorsqu’il tente de dévoiler cela au conteur, il réalise qu’il vient de perdre la voix. Le message est clair : ce qu’un Initié voit dans le secret ne doit être révéler à personne. Kana se rappelle parfaitement avoir vu plusieurs événements se dérouler sur la planète des Mutants et même sur Terre. Il a vu les pyramides d’Égypte, la cité de Rome, la statue de la Liberté, le mont Everest, les chutes Niagara et a même suivi un vieillard qui porte le même prénom que lui. Il ne veut pas s’avouer qu’il est ce marcheur d’un autre monde à la recherche d’Entités arkariennes qu’il éveille en semant des graines magiques dans leurs cœurs de Terriens. Le conteur se lève et suggère au jeune cavalier d’aller voir les Grands-Maîtres du Mont Bellapar. Ils sont tellement puissants qu’ils peuvent sans doute transformer un caillou en licorne si cela fait partie de leurs nombreux pouvoirs. Kana lui dit que personne ne peut se rendre à cet endroit. Barbabus regarde la jolie licorne en disant que tout est possible lorsqu’on peut voyager dans les airs. Kana réfléchit un moment et lorsqu’il relève la tête, le conteur est déjà loin.

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